Histoire : Gabrielle d’Estrées, du bonheur au trépas (2024)

D'un pas fébrile, Gabrielle d'Estrées va et vient entre les murs de sa chambre, sans parvenir à se calmer. En ce début du mois d'avril 1599, elle ne cesse de caresser l'anneau que lui a offert Henri IV en signe de son amour indéfectible. Ses appartements décorés d'objets précieux reflètent l'influence qu'elle a acquise depuis quelques années à la cour. On rapporte que c'est elle qui a poussé le roi à signer l'édit de Nantes, il y a un an. Sa jeune soeur, Julienne-Hippolyte d'Estrées, duch*esse de Villars, tente de lui attraper la main pour l'obliger à s'asseoir.

« Gabrielle, tu devrais te calmer, lance-t-elle à son aînée, qui la repousse. N'es-tu pas enceinte de sept mois ? Qui plus est de ton quatrième enfant ! » poursuit Julienne-Hippolyte, de plus en plus inquiète.

Prenant appui contre la fenêtre, posant ses mains sur son ventre qui déforme à peine sa robe en soie claire, Gabrielle regarde sa soeur du coin de l'oeil, agacée par son regard faussem*nt protecteur.Obsédée par le pouvoir et l'argent,Julienne-Hippolyte ne cesse de la surveiller, depuis le début de sa liaison avec Henri IV, pour s'assurer que rien dans son comportement ne menace cette auguste relation. Sa famille, il est vrai, n'a pas eu à se plaindre des avantages et des dotations que le roi a eu la bonté de faire pleuvoir sur Gabrielle.

« Tant que je n'aurai pas entendu de mes oreilles une prédiction rassurante de la part d'un astrologue qui ne me connaît pas, répond l'aînée, je ne serai pas tranquille. En vérité, ce mariage me paraît trop beau pour être possible. »

Julienne-Hippolyte hausse les épaules et laisse échapper un rire jubilatoire.

« Et pourtant, ma chère ! s'exclame-t-elle. Nous avons tous entendu le roi annoncer, il y a deux mois, au palais du Louvre, qu'il allait t'épouser à la saint Quasimodo, le dimanche après Pâques. C'est-à-dire dans moins de trois semaines ! »

« Tu as peut-être raison », murmure Gabrielle, en posant son regard sur le tableau offert par sa soeur, quand elle attendait le premier enfant du roi.

Henri IV a légitimé leur premier fils

C'était cinq ans plus tôt. Cette oeuvre, réalisée par un peintre de l'Ecole de Fontainebleau, est accrochée comme un talisman au-dessus du cabinet qui lui sert de bureau secret. On y voit Julienne-Hippolyte, à l'heure du bain, lui pincer le téton droit, tandis qu'elle-même tient dans la main gauche l'anneau symbole de l'amour du roi. Derrière elles, une servante coud une layette. La scène symbolise l'enfant à venir, César, qui scellera définitivement son amour avec le roi.

Blonde, le teint blanc, la silhouette féminine, Gabrielle lui a immédiatement plu. Comme sa propre mère, qui fut maîtresse d' Henri III, elle est devenue la maîtresse officielle d'Henri IV, de dix-huit ans son aîné. Mais leur amour n'est plus une simple idylle, depuis qu'elle lui a donné cet héritier, alors qu'il était marié à Marguerite de Valois. Henri IV légitima leur fils César, et le titra duc de Vendôme. Depuis, elle lui a donné deux autres enfants, eux aussi légitimés.

Gabrielle tourne les yeux vers le palais du Louvre, face à son hôtel. Elle ne peut effacer un mauvais pressentiment, alors que son rêve est sur le point de se réaliser. Depuis l'annonce du mariage, la haine s'est déchaînée contre elle. Les Parisiens, qui haïssent le roi, la détestent, tout comme l'aristocratie, à cause de ses dépenses et des cadeaux qu'elle reçoit.

Sans parler du pape Clément VIII, souhaitant voir Henri IV épouser Marie de Médicis. Quant à Marguerite de Valois, récemment divorcée du roi, elle la considère comme une « putain ». Gabrielle ne compte plus les pamphlets haineux qui la baptisent « duch*esse d'ordure ».

Mais il y a pire : selon un présage funeste qui lui a été rapporté, elle ne passerait pas l'âge de 28 ans et ne verrait pas la fête de Pâques cette année.

Alors que sa soeur se retire, un certain Emiliano se fait annoncer : « Madame, je tenais à vous féliciter de votre prochaine union. Qu'attendez-vous de moi ? » demande-t-il d'un air gêné.

Gabrielle observe la grimace de cet astrologue envoyé par l'un de ses serviteurs. « Mon ami, lui dit-elle, j'aimerais savoir si vous voyez un événement qui pourrait perturber ce projet. » L'homme se met à rougir.

« Madame, ose-t-il répondre, est-il bien raisonnable de chercher de bons ou de mauvais signes à quelques jours d'un si grand événement ? »

Tout à coup, la porte s'ouvre. Gabrielle se retourne. Deux enfants surgissent et courent vers elle, suivis par leur gouvernante. Elle est rassurée par la présence de Catherine, sa fille âgée de plus de 2 ans, et d'Alexandre, né il y a un an tout juste.

« Vous avez raison. N'ai-je d'autre choix que de faire confiance aux astres ? »

L'homme profite de ce moment de douceur pour quitter les lieux.

Funérailles royales

Quelques jours plus tard, Gabrielle d'Estrées répond à l'invitation à dîner d'un ami banquier. Après avoir accepté un citron glacé, elle s'effondre. Prise de spasmes, Gabrielle perd son bébé et rend l'âme au matin du 10 avril 1599, sans avoir revu le roi. On soupçonne un temps que sa mort, providentielle pour ceux qui condamnaient cette union, est un empoisonnement. On saura, plus tard, qu'elle était due à une éclampsie, une complication liée à la grossesse.

Bouleversé, Henri IV s'écrie, le lendemain de sa mort : « Mon affliction est aussi incomparable que l'était le sujet qui me la donne ! Les regrets et les plaintes m'accompagneront jusqu'au tombeau ! »

Il offre à Gabrielle des funérailles royales et porte le deuil, malgré l'interdiction faite aux monarques. En 1600, il épousera Marie de Médicis, qui lui donnera six enfants, dont le futur Louis XIII, et se consolera dans les bras de sa nouvelle maîtresse, Henriette d'Entragues.

Histoire : Gabrielle d’Estrées, du bonheur au trépas (1)

A LIRE POUR ALLER PLUS LOIN

  • « Gabrielle d’Estrées, le Grand Amour de Henri IV », de Michel de Decker, Pygmalion (2003).
  • « Gabrielle d’Estrées, de Janine Garrisson », Tallandier (2006).
  • « Gabrielle d’Estrées ou les Belles Amours », d’Isaure de Saint Pierre, Albin Michel (2017).
Histoire : Gabrielle d’Estrées, du bonheur au trépas (2024)
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Author: Maia Crooks Jr

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